Un nombre croissant de produits de grande consommation est désormais enrichi en micro-nutriments et chaque fabricant affiche fièrement des tableaux d’allégations nutritionnelles gonflés à bloc. En agissant ainsi, les géants de l’agro-alimentaire, sous prétexte de nous maintenir en bonne santé, nous affaiblissent, en fait, progressivement.
Le docteur Jean-Pierre Ruasse, nutritionniste et endocrinologue dénonce les mensonges de ce marketing de l’overdose.
- À quoi correspondent les AJR inscrits sur les étiquettes ?
Ce sont les apports journaliers recommandés. Ils ont été calculés pour les besoins d’une population, plus exactement pour 97,7 % de la population mais ils ne s’imposent absolument pas à une personne donnée. Les besoins vitaminiques de chacun d’entre nous, comme les autres besoins alimentaires d’ailleurs, dépendent de notre hérédité, de notre état de santé, de notre activité, de notre alimentation elle-même. Les AJR ne sont que des ordres de grandeur, c’est tout !
- Comment naissent ces allégations nutritionnelles ?
On part d’études épidémiologiques qui montrent que certaines insuffisances en nutriments seraient en corrélation avec des pathologies. Mais les études de corrélations existantes dont on tire des conclusions hâtives et qui sont abusivement reprises comme signifiant une relation sont tellement nombreuses qu’elles remplissent des bibliothèques ! Si les résultats vantés étaient réels, on n’aurait pas besoin de recommencer ces études. La plupart du temps ce sont des « salades », il faut voir qui a fait l’étude, qui a financé… Et là, on s’apercevrait…
- Et pourtant, ces allégations nous promettent de vivre mieux !
Oui, mangez ça, vous vivrez mieux ! Et vous, vivez-vous bien ? Oui ? Alors pourquoi changer votre mode d’existence ? Il y a un proverbe chinois qui dit : « ils ont recouvert la terre de cuir plutôt que de donner des chaussures à tout le monde… ». Il est insensé de développer une diététique collective. Il ne faut pas se laisser abuser par une étude qui nous vient du fin fond de la Chine ou par une pincée de nutriments dans un aliment qui vont améliorer on ne sait trop quoi. Elles ne devraient pas être publiées. Tout cela n’est qu’affaire de marketing.
- Comme les célèbres oméga-3, la panacée d’aujourd’hui ?
Oui. L’ambiguïté se situe là puisque tout est vrai dans la publicité, on a besoin d’oméga-3. Il est clair que la consommation française d’aujourd’hui, n’en apporte sans doute pas assez. Mais attention, les anti-oxydants ont réservé des surprises. Une étude de type Su.Vi.Max réalisée en Finlande a montré une hausse des cancers chez 20 000 fumeurs qui avaient pris du bêtacarotène ! Question : Je change mes mauvaises habitudes alimentaires au profit d’une alimentation plus saine ou je les garde et j’avale des compléments ? La politique aujourd’hui est plutôt de dire, gardez les premières et avalez des gélules !
- Et c’est dangereux ?
Oui car l’organisme se souvient de la brutalité. Vous sucrez le sucre, vous ? Multiplier la prise de vitamines peut entraîner une concurrence entre elles ou avec des minéraux indispensables. Par exemple, de fortes doses de vitamine C troublent la digestion du cuivre. C’est comme l’eau minérale. Vous ne buvez que de la Saint-Yorre et beaucoup de thé ? Vous risquez de faire une overdose de fluor, une fluorose (taches blanches sur l’émail).
- À quelles allégations farfelues pensez-vous ?
Je pense à des publicités qui vantent les vertus réelles ou imaginaires d’un produit pour inciter le consommateur potentiel à l’acheter. « Mangez du pain, vous vivrez bien ». On peut croire que manger du pain vous donne une bonne santé. Oui, mais quel pain, quand le mangez-vous et combien en mangez-vous ? C’est une allégation pleine de vent. Une autre publicité dit « Mon produit va exalter vos défenses naturelles ». Vaste programme ! Et quelles défenses naturelles ? À la télévision, une publicité, pour vanter les allégations santé d’un produit lacté, met en scène deux adolescentes qui se plaignent de problèmes de digestion et de problèmes intestinaux. L’une dit à l’autre : « c’est normal, tu vois comment on mange ? ». Et l’autre lui conseillait un produit lacté. Eh oui, mais il est là le problème. « Tu vois comment on mange » ! Et alors, jeune fille, c’est bien ça qu’il faut changer. Et la solution n’est pas de manger un yaourt mais bien de changer son alimentation ! Un yaourt n’a jamais réparé la mauvaise bouffe !
À lire, paru aux Éditions Iprédis :
• Bon poids, bonne forme au quotidien
• Le guide pratique de l’alimentation équilibrée