Il en résulte deux choses :

- L'écologie est déjà reconnue comme une puissance par toutes les puissances de la planète.

- Il est grand temps que les écologistes exposent à la face du monde entier leurs conceptions, leurs buts, leurs tendances et qu'ils opposent au spectre de l'écologie un véritable manifeste écologiste avec un programme concret d'alternative au productivisme.

C'est le but que se propose ce petit livre qui rassemble des textes rédigés au cours de ces dix dernières années de luttes et de controverses écologistes, tentatives de dissiper la confusion en donnant un contenu au projet de l'écologie-politique et un sens à l'écologie comme réponse aux ruptures de civilisation que nous connaissons. Au-delà d'une vague prise de conscience de l'étendue des destructions écologiques et des impasses du productivisme, il s'agit de participer à la construction d'une alternative politique écologiste et de nouveaux rapports de productions plus conformes aux nouvelles forces productives.

En effet, comme chacun peut le constater dans son existence quotidienne, nous vivons des bouleversements considérables avec l'entrée dans l'ère de l'information et du savoir, à laquelle l'écologie-politique est reliée intimement que ce soit par l'exigence de formation et de développement humain aussi bien que par la régulation de notre environnement et la préservation des menaces écologiques. La question de la maîtrise de l'information y est manifestement centrale, prenant le pas sur les rapports de force. Les leçons n'en ont pas été suffisamment tirées alors que toutes les données ont changé en quelques décennies : technique, production, consommation, médias, finances... Les anciennes institutions sont déconsidérées, le productivisme est remis en cause, le salariat s'effrite en se généralisant mais si les urgences se font bien de plus en plus pressantes, nous n'avons pas tellement à redouter cette révolution qui s'annonce et pourrait nous apporter une vie meilleure, une véritable libération du travail et une plus grande solidarité avec la réalisation de nos droits comme droit à l'existence : passage de la marchandisation du monde à la valorisation de la personne, de la croissance au développement humain, du salariat productiviste au revenu garanti.

On voit que l'écologie-politique n'a rien à voir avec d'anciennes traditions, c'est bien plutôt la confrontation avec la réalité la plus actuelle, celle de la mondialisation achevée, des changements climatiques, des accidents industriels et de l'épuisement des ressources, dans un monde dominé par la technique, monde unifié de satellites, de réseaux, d'informations, de marchandises où nous cherchons à retrouver qualité de vie et convivialité perdue.

Pas de mystère, l'exigence écologiste naît des désastres écologiques du productivisme, comme la sociologie et le socialisme étaient nés de la destruction de la société par le capitalisme libéral individualiste et massifiant. C'est l'exploitation intensive des ressources naturelles qui a ébranlé les rapports de l'humanité à la nature, outrepassant les limites vitales. Notre souci va inévitablement vers ce qui nous menace et comme toujours on ne reconnaît l'importance des choses ou des gens qu'au moment où ils viennent à nous manquer !

- La modernité réflexive

Qu'est-ce donc que l'écologie-politique ? En mettant l'accent sur les pollutions, l'épuisement des ressources, la destruction des environnements et les risques technologiques, c'est-à-dire sur le négatif de notre industrie et du progrès, l'écologie nous amène à relativiser le caractère bénéfique des innovations techniques et la légitimité de notre mode de développement, ce qui pose la question à la fois du principe de précaution et d'une alternative à notre société de consommation. L'écologie naît d'une réflexion sur la modernisation des sociétés, ce que Ulrich Beck appelle la modernité réflexive (La société du risque). C'est un nouveau stade cognitif, conscience de soi collective qui est la négation de la séparation de l'économie avec la société et la nature, savoir des limites, du possible et du nécessaire, mais surtout de notre ignorance, voire de notre folie (principe de précaution). C'est pourtant l'opposée du scepticisme libéral car c'est aussi le refus d'un laisser-faire aveugle, d'une évolution subie passivement, au profit de l'investissement dans l'avenir et l'action collective, exigence de réflexion sur les conséquences de nos actes et de notre production (principe de responsabilité).

Bien sûr cette projection dans le futur peut se réduire pour certains à la conservation de nos avantages présents ou même au retour des traditions du passé, mais se poser la question de notre avenir commun nous oblige à discuter de nos fondements, de ce qui nous importe dans la société, des conditions qui font qu'une société, pas seulement une économie, est soutenable. Dès lors qu'on refuse de se laisser faire et de s'adapter à des conditions de plus en plus "insoutenables" par la médecine ou la génétique, c'est bien la société qu'il faut changer au nom de nos finalités humaines et de notre être-ensemble, ce qu'on appelle la convivialité. La préservation de notre avenir, c'est le passage de l'histoire subie à l'histoire conçue, c'est réaffirmer notre liberté collective et notre responsabilité envers les générations futures mais c'est surtout remettre les valeurs humaines avant les intérêts privés, le qualitatif avant le quantitatif, avec toute la difficulté du conflit des valeurs et des cultures...

L'écologie-politique en tant que projet politique est loin de se réduire à l'environnement puisque c'est un concept dialectique qui intègre les différentes contradictions et reconnaît la séparation pour la dépasser, reliant ainsi campagne et ville, nature et société, écologie et politique, local et global. En particulier l'écologie-politique ne se réduit pas au cosmopolitisme ni à la globalisation du monde mais doit rester ancrée dans le local, exigeant même une relocalisation de l'économie. C'est la seule réponse au totalitarisme massifiant, aussi bien qu'aux désastres du productivisme, grâce à une économie plurielle et des politiques décentralisées, à l'articulation de la totalité et de l'individu, à leurs inter-dépendances et leur autonomie relative.

- L'alternative au productivisme

Le simple fait de poser la question de la société que nous voulons est une contestation radicale de l'économisme dominant, de l'économie comme négation de la société et seul horizon de notre avenir. Sans tomber dans l'utopie ou la planification autoritaire pour autant, c'est déjà une réfutation du libéralisme et l'affirmation du politique comme projet, finalité, idéal, au-delà d'un marché désorienté. Face au libéralisme qui triomphe sur la disparition du politique, seule l'écologie peut construire un nouveau projet de société crédible qui réponde aux limites planétaires comme aux leçons de l'histoire : une société ouverte et coopérative pour une planète limitée.

Pourtant l'expérience historique catastrophique des divers totalitarismes et volontarismes interdit encore à la plupart de soutenir cette question de notre destin commun, la liberté humaine se reniant pour ses fautes passées : c'est juré, on ne l'y reprendrait plus ! Cette haine de la pensée n'a produit qu'un post-modernisme sans consistance dans sa négation de la totalité alors que la tempête nous traite universellement, le climat nous totalise, que nous le voulions ou non. Ce n'est pas la liberté du marché et des capitaux, responsable de tant de destructions, que nous devrions défendre, mais les conditions d'une véritable autonomie de la personne. Le totalitarisme qui nous menace, c'est plutôt celui de la marchandise, l'idéalisme qu'il faut combattre, c'est celui du libéralisme et de la passivité spectaculaire.

L'écologie n'est pas une utopie, c'est la poursuite du capitalisme productiviste qui est complètement utopique. C'est notre système de développement qui n'est pas durable. Il ne s'agit pas de prophéties d'avenir, "la catastrophe a déjà eu lieu" ! On constate chaque jour un peu plus l'étendue du désastre.

Au-delà de l'environnementalisme, et dans la lignée de Illich, Gorz, Bookchin, l'écologie-politique est bien un projet de société alternatif au capitalisme productiviste, projet de relocalisation de l'économie basé sur l'indivisible tryptique : revenu garanti, coopératives municipales et monnaies locales. L'écologie-politique comme développement local et humain est la construction par le bas d'une réponse globale au totalitarisme marchand qui menace nos conditions vitales. Il se pourrait que notre époque non seulement rende possible ce qui n'était qu'un rêve inaccessible, mais qu'elle l'impose même avec l'autorité de l'urgence.

En effet, il ne faut pas seulement subordonner l'économie à la société et aux cycles écologiques mais aussi tirer parti de la révolution informationnelle exigeant de plus en plus d'autonomie et de formation, ce qui devrait se traduire par la réorientation de l'économie vers le développement humain, l'immatériel et les services, vers la production de l'homme par l'homme plutôt que les consommations matérielles, vers la coopération des savoirs plutôt que la compétition marchande... Les technologies informationnelles se révèlent aussi indispensables dans toutes les régulations en multipliant les capacités de rétroaction, d'évaluation des résultats et de correction ou d'ajustement de l'action publique. On verra que c'est un des enjeux décisifs pour l'avenir de reconnaître à quel point l'écologie-politique est liée à l'ère de l'information.

Dans un premier temps, il est absolument essentiel de clarifier les divers sens de l'écologie et distinguer l'écologie-politique, comme alternative au productivisme et politique de l'avenir, de tout ce qui peut se réclamer de l'écologie à différents titres, écologie de droite ou libérale, gestionnaire ou catastrophiste ! Le premier texte date de plus de 10 ans déjà mais n'a rien perdu de son actualité.

Juin 2005

L'intégralité du livre est disponible en version lybè®e (copyleft), version numérique (PDF) gratuite d'un livre papier payant : http://www.editions-ere.net/projet110